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Obligations indexées sur le PIB : le chant envoûtant des sirènes

Billet n°282

Obligations indexées sur le PIB : le chant envoûtant des sirènes

Publié le 01/09/2022

Les ratios de dette sur PIB ont fortement augmenté dans les économies avancées durant la Grande récession et la récente pandémie, et peuvent constituer une source de vulnérabilité. Certains économistes proposent d’indexer le service de la dette sur la croissance du PIB afin de fournir au gouvernement un stabilisateur automatique pour ses finances. Une nouvelle étude suggère que les obligations indexées sur le PIB sont plus coûteuses pour le gouvernement et empêchent les risques extrêmes élevés de peser sur les ratios dette/PIB seulement à court terme.

Figure 1 – Rendements réels observés vs attendus des obligations à un an avec une valeur faciale unitaire
Graphique 1 – Rendements réels observés vs attendus des obligations à un an avec une valeur faciale unitaire Source : Mouabbi, Renne and Sahuc (2021)

Notes : Les anticipations proviennent de l’enquête auprès des prévisionnistes professionnels réalisée par la Fed de Philadelphie. Les zones ombrées indiquent les périodes de récessions définies par le NBER.

 

Les obligations indexées sur le PIB paraissent séduisantes...

Durant la Grande récession et la récente pandémie, le ratio de dette sur PIB a considérablement augmenté dans les économies avancées, passant de 71 % en 2007 à 122 % en 2021. Un ratio dette sur PIB aussi important peut être une source de vulnérabilité, amplifiant les chocs macroéconomiques et financiers et augmentant ainsi la probabilité d’une baisse de l’activité économique.

Les débats dans les cercles politique et académique (Borensztein et Mauro, 2004 ; Blanchard, Mauro et Acalin, 2016) laissent penser que l’indexation du service de la dette (coupons et valeur faciale) sur le PIB nominal réduirait la gravité d’un tel événement en fournissant au gouvernement un stabilisateur automatique pour ses finances. En émettant des obligations indexées sur le PIB, le service de la dette pour le gouvernement est plus élevé en période de forte croissance économique, tandis que les paiements sont réduits lors des ralentissements économiques. En d’autres termes, si la totalité du service de la dette d’un pays était indexée sur le PIB – de manière similaire aux obligations indexées sur l’inflation qui indexent tous les paiements sur l’inflation réalisée – le ratio de dette sur PIB devrait être couvert contre des variations imprévues de la croissance du PIB.

Des essais d’émissions d’instruments apparentés ont été réalisés dans le contexte d’une restructuration de la dette publique, notamment au Costa Rica en 1990, en Bulgarie en 1993, en Bosnie-Herzégovine en 1997 et, plus récemment, en Argentine, en Ukraine et en Grèce (Cabrillac et al., 2018). Leur conception ne permettait toutefois pas d’offrir des rendements symétriques. En d’autres termes, ces instruments promettaient des rendements plus importants si certains niveaux de croissance étaient atteints, mais pas des rendements plus faibles si l’économie du gouvernement émetteur entrait en récession. C’est pourtant cette véritable symétrie qui est au cœur des propositions récentes d’obligations indexées sur le PIB.

En s’appuyant sur ce raisonnement, il est surprenant que des instruments aussi prometteurs pour stabiliser la dette n’aient pas été émis à grande échelle par une économie avancée.

...mais intègrent des primes de risque importantes et contracycliques

À la différence des entreprises qui peuvent se financer par endettement ou émission d’actions, les gouvernements ne peuvent compter que sur la dette. Avec des paiements évoluant en co‑mouvement avec les performances économiques, les obligations indexées sur le PIB possèderaient des caractéristiques similaires à celles des actions. De fait, le panel (a) du graphique 1 montre que les surprises relatives au PIB – mesurées par le ratio paiements observés sur paiements attendus – sont fortement corrélées avec les rendements du S&P500, et sont par conséquent procycliques. Le panel (b) de cette figure montre que les paiements des obligations conventionnelles (obligations classiques nominales et indexées sur l’inflation) sont nettement moins synchronisés avec le cycle économique et faiblement corrélés avec les rendements des actions.

En utilisant un modèle de macro-finance, Mouabbi, Renne et Sahuc (2021) montrent que les prix des obligations indexées sur le PIB intègreraient des primes de risque importantes et contracycliques, estimées à 40 points de base environ. Cela majorerait le taux d’intérêt auquel le gouvernement emprunte, puisque les investisseurs exigeraient une rémunération supplémentaire pour être exposés à un risque lié au PIB.

Compte tenu de la relation inverse entre les prix des obligations et leurs taux d’intérêt associés, il serait nécessaire d’émettre davantage d’obligations indexées sur le PIB, par rapport aux obligations conventionnelles, pour obtenir un montant donné. En d’autres termes, il est en moyenne plus coûteux d’émettre des obligations indexées sur le PIB.

...et n’aident pas à stabiliser la dette dans le long terme

En dépit du coût plus élevé de l’indexation de la dette sur le PIB, cette stratégie pourrait rester plus avantageuse pour le gouvernement en facilitant la stabilisation de la dette et en empêchant de nouvelles amplifications de chocs défavorables. 

Afin de savoir s’il est possible de parvenir à des niveaux de dette stables, Mouabbi, Renne et Sahuc (2021) estiment un modèle de valorisation d’actifs pour évaluer les prix des obligations indexées sur le PIB. Ils simulent ensuite des trajectoires du ratio dette sur PIB dans une configuration où le gouvernement émet des obligations qui diffèrent selon deux dimensions : leur type (nominales, indexées sur l’inflation et indexées sur le PIB) et leur maturité (1 an et 10 ans). Ils parviennent à la conclusion que les ratios dette sur PIB sont, en moyenne, plus élevés quand le gouvernement émet des obligations indexées sur le PIB. Il est intéressant de noter que la variance de la distribution des ratios dette sur PIB est nettement plus faible à un horizon de 2 ans (Graphique 2).

Cette prévisibilité accrue est appréciée par le gouvernement, car elle facilite la gestion de sa dette. Plus précisément, pour les horizons à court et moyen termes, un gouvernement aurait une meilleure visibilité des futurs ratios dette sur PIB, ce qui faciliterait la gestion de ses politiques budgétaires sur ces horizons. En revanche, à un horizon de 20 ans, les distributions sont dispersées et déplacées vers la droite. Cela signifie que les obligations indexées sur le PIB ne sont pas en mesure d’empêcher des ratios dette sur PIB élevés dans le long terme (soit l’horizon pertinent pour les stratégies de dette publique). Cette diminution de la prévisibilité est liée au fait que, lorsque l’horizon de la stratégie augmente, une part plus importante de la dette devra être renouvelée, exposant ainsi le gouvernement aux fluctuations futures des taux d’intérêt.

Ces résultats remettent en cause le point de vue selon lequel les obligations indexées sur le PIB maîtrisent la dette.

Figure 2 – Distributions des ratios de dette sur PIB futurs
 
Graphique 2 – Distributions des ratios de dette sur PIB futurs Source : Mouabbi, Renne et Sahuc (2021)

Notes : Cette figure présente les distributions des ratios dette sur PIB à des horizons de 2 ans (colonne de gauche) et de 20 ans (colonne de droite) durant lesquelles le gouvernement met en œuvre des stratégies d’émissions : en particulier, il émet des obligations de même type (nominales, indexées sur l’inflation ou indexées sur le PIB) et de même maturité maximale (1 ou 10 ans). L’excédent budgétaire primaire est égal à – 1 % du PIB nominal.

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