L’analyse se concentre sur deux types d’entreprises : les entreprises dites « zombies » qui se maintiennent sur le marché alors qu’elles apparaissent comme des candidates naturelles à la défaillance, c’est-à-dire susceptibles d’entrer dans une procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire, et les entreprises « non zombies » qui n’arrivent pas à se maintenir sur le marché alors qu’a priori leurs difficultés seraient passagères. Les entreprises zombies sont définies par l’OCDE comme les entreprises matures (au moins dix ans d’existence) qui se caractérisent par des difficultés récurrentes – leur excédent brut d’exploitation ne couvrant pas la totalité des charges d’intérêts durant au moins trois années consécutives. Les entreprises considérées comme zombies selon cette définition mais qui appartiennent à un groupe dont les filiales zombies accaparent un capital inférieur à 50 % du capital total du groupe sont considérées comme non zombies dans notre étude. En effet, leur situation économique et financière dépend surtout des stratégies internes de leur groupe.
Les entreprises défaillantes sont identifiées à partir des Bulletins officiels des annonces civiles et commerciales (Bodacc), qui recensent les actes enregistrés au Registre du commerce et des sociétés (RCS), cette base de données n’étant disponible que depuis 2008. Les variables permettant de mesurer les difficultés économiques et financières des entreprises sont tirées du Fichier complet unifié de Suse [2] (Ficus), qui fournit des informations sur des variables économiques et comptables des entreprises françaises sur la période 1994-2007, et du dispositif Esane (Élaboration des statistiques annuelles d’entreprises) pour la période postérieure à 2007.
En France, la part des entreprises zombies, rapportée aux entreprises matures, est en légère progression entre la période 2000-2010 et la période 2011-2019. Cette part est en dessous de 5 % jusqu’en 2010 et au-dessus de 5 % pour la première fois en 2011. En moyenne, la part des entreprises zombies est de 4 % sur la période 2000-2010 et de 5 % sur la période 2011-2019. Sur cette dernière période, les entreprises zombies accaparent également selon les années entre 4 % et 6 % du capital productif des entreprises matures et réalisent entre 2 % et 3 % de leur valeur ajoutée hors taxe. Toutefois, ce poids varie très sensiblement selon le secteur d’activité et la taille des entreprises. Ainsi pour l’année 2019, les entreprises zombies du secteur manufacturier contribuent à hauteur de 1,75 point de pourcentage (pp) des 4 % du capital piégé par les entreprises zombies contre 0,25 pp dans le secteur science & technique, administration. Une analyse par taille montre que la part du capital piégé est concentrée dans les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises, celles-ci détenant 68 % du capital piégé par les entreprises zombies en 2019.
La prise en compte simultanée du taux de présence des entreprises zombies parmi les entreprises matures et du taux de défaillance des entreprises matures permet une première analyse de l’efficacité du processus de sélection du marché en France. Le poids des entreprises identifiées comme zombies la dernière année avant qu’elles ne fournissent plus leurs comptes et qui ne sont toujours pas défaillantes cette même année est considéré comme une mesure du risque d’erreur de type I [3]. Ces entreprises zombies non défaillantes peuvent devenir défaillantes une ou plusieurs années plus tard, si bien qu’on peut considérer qu’on surestime l’erreur de type I. Malgré tout, cette mesure fournit de premières indications sur la part des entreprises zombies dont la prise en charge des difficultés par les procédures collectives intervient avec délai. Le risque d’erreur de type II correspond quant à lui aux entreprises défaillantes qui n’étaient pas préalablement zombies. Au total, on peut recenser ainsi trois catégories d’entreprises : les zombies non défaillantes (erreur de type I), les non zombies défaillantes (erreur de type II) et les zombies défaillantes (processus de sélection du marché à l’œuvre). D’après une analyse (statique) uniquement fondée sur ces critères d’erreurs de type I et de type II, les résultats sur la période 2008-2018 ne semblent pas refléter un processus de sélection du marché efficace. En effet, parmi les entreprises ayant pour la dernière fois le statut de zombie avant de disparaître définitivement de la base ou défaillantes, seules 9 % à 23 % (selon les années) sont à la fois zombies et défaillantes. Corrélativement, le risque d’erreur de type I obtenu est élevé. Les entreprises zombies non défaillantes représentent entre 41 % et 73 % de l’ensemble des entreprises zombies ou défaillantes. Le risque d’erreur de type II apparaît lui-même assez important puisque le pourcentage d’entreprises défaillantes non zombies varie entre 17 % et 42 %.
Ces premières mesures de l’efficacité du processus de sélection du marché doivent être complétées par une analyse en dynamique fondée sur la rapidité des procédures collectives à identifier les entreprises zombies. Il s’agit ici de déterminer le temps écoulé entre la première année où une entreprise a été identifiée comme zombie et le moment où elle est entrée en défaillance. Ainsi, parmi les entreprises zombies défaillantes, il apparaît que, pour 61 % d’entre elles, deux ans au plus s’écoulent entre le moment où elles sont identifiées pour la première fois comme zombies et leur entrée dans une procédure collective de redressement ou de liquidation. L’analyse par cohorte d’entrée dans le statut de zombie montre que plus de 40 % des entreprises primo-accédantes au statut de zombie finissent par redevenir pérennes au bout de trois ans. Près de 30 % finissent dans une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Le reste, soit environ 30 %, sont ou bien toujours zombies (rechute ou statu quo), ou bien disparues de la base et ne renseignent plus leurs comptes, ce qui serait le signe d’une probable défaillance à venir.
Enfin, la population des entreprises zombies est très hétérogène au regard des niveaux de difficultés rencontrées. Pour apprécier si le statut d’entreprise zombie couplé à des difficultés importantes est toujours le prélude à la défaillance, un indicateur d’intensité des difficultés est proposé. Il s’agit de la différence entre les charges d’intérêts et l’excédent brut d’exploitation rapportée au chiffre d’affaires. Par construction, cet indicateur est toujours positif et il est d’autant plus élevé que l’intensité des difficultés des entreprises zombies est importante. Les tests réalisés (Kolmogorov-Smirnov) indiquent que la probabilité d’avoir une intensité de difficulté supérieure à un seuil donné est plus élevée pour les entreprises zombies défaillantes que pour les entreprises zombies non défaillantes (dominance stochastique du premier ordre). Ainsi, les entreprises zombies qui ne sortent pas du marché sont celles qui connaissent des difficultés de plutôt faible intensité. Ce résultat semble indiquer un processus de sélection du marché efficace en France.
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[1] Il détaille et actualise une précédente publication de France Stratégie : Ben Hassine H., Le Grand C. et Mathieu C. (2019), « Les procédures de défaillance à l’épreuve des entreprises zombies », La Note d’analyse, n° 82, octobre.
[2] Système unifié de statistiques d'entreprises.
[3] Dans cette étude, les défaillances sont comptabilisées uniquement la première année où les entreprises entrent dans une procédure collective. Les entreprises zombies peuvent en revanche avoir le statut de zombie pendant plusieurs années. Afin de ne pas surestimer, par effet de cumul, l’erreur de type I, une seule année du statut de zombie est considérée. Il s’agit de la dernière année avant que les entreprises zombies ne déclarent plus leurs comptes et qu’elles disparaissent définitivement de la base. Lorsqu’une entreprise ne déclare plus ses comptes, son statut de zombie (ou pas) ne peut plus être identifié.